Fait divers

Publié le par Sandrine Arlaud

Museum of Modern Art, New York
La nuit étoilée, Vincent Van Gogh, 1889

Melody ne m’a pas contacté aujourd’hui. Ça lui arrive, parfois. Ou peut-être même plus souvent que je ne le pense, je ne sais pas, je perds la notion du temps depuis que je l’ai rencontrée. Chaque fois qu’elle m’oublie, je m’en sens tout bouleversé. Je me fais du souci.

 

 

Lui est-il arrivé quelque chose ? Est-elle débordée par son travail ? A-t-elle rencontré un autre homme que moi ?

Depuis que ma mère est morte, je vis seul dans notre maison. Mon univers s’est insidieusement rétréci à mes pièces sombres aux lourds rideaux tirés, encombrées de meubles et de souvenirs d’une vie qui ne m’appartient pas. L’extérieur s’est peu à peu effacé. Je ne sors que pour aller travailler et faire mes courses sur le trajet. À pied, matins et soirs, je traverse un extérieur flou et gris. Pourtant, j’aime les couleurs. Celles des fleurs. Et les couleurs de Van Gogh. Et celles de la voix de Melody.

J’aimerais appeler Melody, l’entendre, lui dire qu’elle m’a manqué. Ce n’est pas possible. Je n’ai pas son numéro de téléphone. Et puis, quoi ? Quoi lui dire ? Quand elle me contacte, je n’ai pas la parole. Melody m’envoie un texto sur mon téléphone portable pour me donner un rendez-vous. Elle choisit son sujet. En fonction de ce que j’aime, bien sûr, d’après les informations que je lui ai données. Ce qui m’intéresse dans l’histoire de l’art pictural, c’est la période Impressionniste. Et particulièrement Van Gogh. Est-ce parce que, comme lui, je porte le prénom de mon frère mort-né un an avant ma naissance ?

Melody me donne un rendez-vous ? Je m’y précipite, à l’heure dite, sur l’écran de mon ordinateur. Chaque visite avec Melody est une merveille. Un jour, un tableau. Melody parle. Melody est pertinente, parfois espiègle. Toujours captivante. Elle parle, tout autant de l’art pictural, du contexte historique et social, que de la vie du peintre. Parfois, je ne l’écoute même pas. Tout ce qui m’intéresse, c’est entendre sa voix en déambulant avec elle devant les tableaux. Sa voix, douce, virevoltante. Un papillon butinant, ici et là, mais jamais au hasard. Elle module les fréquences graves et chaudes de sa voix dans les couleurs, les scintillements, les pointillés, les lueurs de Vincent.

Melody n’a pas de visage.

Hier, Melody m’a annoncé dans un texto qu’elle a fait le tour de Van Gogh. Demain, nous finirons sur La nuit étoilée.

Ce matin, éveillé avec la rémanence des images de mes rêves tournoyant dans mon souvenir, je me laisse porter par un courant irrésistible. C’est vaporeux, éloigné, attirant. J’ouvre la fenêtre et les volets. Là, dans le bleu du ciel de Van Gogh, tourbillonnent les étoiles.

Melody, attend-moi, j’arrive !

La Gazette du Matin, 7 février 2022

Rubrique Faits divers

Un homme tombe de sa fenêtre du premier étage de sa maison en banlieue parisienne

Dimanche 6 février, aux alentours de 8 heures du matin, un homme en pyjama, inconscient et blessé, a été découvert dans son jardin par un voisin qui a aussitôt appelé le SAMU.

Le blessé, un homme de 45 ans, professeur d'histoire de l'art, et plus récemment jardinierétait connu dans son quartier pour être solitaire, peu sociable et dépressif. Souffrant d’une fracture ouverte à la jambe droite, exposé au froid depuis plusieurs heures, il se trouvait en état d’hypothermie et avait perdu conscience. Il a été immédiatement pris en charge par le SAMU et transporté aux urgences. Ses jours ne sont pas en danger.

Selon les dires du blessé, il s’agirait d’un accident : vers 5 heures du matin, il serait tombé de sa fenêtre au premier étage en voulant ouvrir son volet coincé par une branche d’arbre. Il a réfuté la thèse du suicide avant de s’enfermer dans un mutisme total.

Publié dans Histoires étranges

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