4 - VIVRE À SINGAPOUR 1988-1989

Publié le par Sandrine Arlaud

HOME SWEET HOME

College Green off Bukit Timah

Après une semaine à l’hôtel, la maison, enfin, se libère. Nous avions le choix entre un appartement moderne au vingtième étage d’une tour avec vue sur l’autoroute ou la maison désuète dans le lotissement de College Green encadrant un parc planté de bananiers et d’hibiscus géants. Le choix a été fait sans hésitation. Chez nous. Notre maison. C’est merveilleux.

Durian

Même si on habite en face de la benne à ordure où finissent immanquablement des écorces de durian, le fruit le plus consommé à S’pore. De la taille d’un ananas, l’écorce bardée d’épines, il est pestilentiel. Quand il atteint sa maturité, le fruit sent le vomi. Quand ses écorces sont à la poubelle, il sent le cadavre. Et pourtant, il n’a pas le goût de ses diverses puanteurs, il est excellent. Il faut juste oser.

En entrant dans la maison, Vanessa pleure.

- Je croyais qu’on était riches…

- Mais regarde comme c’est bien, lui dit Emily, c’est une maison de poupées !

Pauvres. Ce mot reviendra souvent dans les discussions avec les enfants. C’est effectivement un ghetto pour enseignants pauvres, ces expatriés aux salaires singapouriens. Le lotissement n’est pas très loin du centre-ville, proche des Singapore Botanic Gardens et d’une zone non urbanisée que nous appelons notre mini jungle. Le murmure continuel de Bukit Timah Road est assourdi par les grands arbres de notre parc, ainsi que le grondement de Rochor River quand elle déborde. Les sifflements des criquets, les mugissements des grenouilles et les discussions des pies font partie de notre monde de quiétude. De la maison, à la différence de la ville, on ne voit que le ciel et les arbres. Pourtant, les grands immeubles ne sont pas loin. La maison, comme c’est important. On croit que la vie à l’hôtel, au restaurant, c’est le paradis. Mais non. Enfin, si, quand même un peu, de temps en temps.

À la maison, de gros ventilateurs au plafond de chaque pièce dispensent un air tiède qui ne rafraîchit pas nos nuits. Écartelés, pantelants, nous cherchons le sommeil sur des lits aux draps humides de nos sueurs. Les fenêtres sont grillagées. Elles le sont toutes, ici, même dans les immeubles modernes. Le grillage est à l’intérieur et les battants de la fenêtre à l’extérieur qu’un judicieux système de poussoir permet d’ouvrir.

- Surtout, n’ouvre jamais les fenêtres ! me lance ma voisine Kumari au moment où je m’apprête à actionner le poussoir pour créer un courant d’air salvateur.

- Pourquoi ?

- Trop de bêtes, tu ne veux pas les avoir chez toi.

College Green

Salon, salle à manger, cuisine, quatre chambres, deux salles d’eau-wc, sur deux niveaux desservis par un escalier. Les évacuations des salles d’eau se prennent directement au sol, c’est ce qu’on appellera vingt ans plus tard des douches à l’italienne !

Les installateurs, employés de l’université, viennent toujours en camion. Ils sont cinq ou six à chaque fois. C’est vrai que le chômage n’existe pas à S’pore… Les femmes font le ménage mais elles mangent des plats graisseux sur notre table et molardent dans les jardinières. Bon, c’est sûrement bénéfique pour les plantes. À ma demande, les hommes échangent de tristes meubles d’aggloméré blanc contre des meubles en bois mais ils les apportent noirs de poussière et font des trous dans les murs en passant. Ils viennent connecter l’eau, l’électricité, le téléphone et, après leur départ, non seulement il n’y a pas d’eau mais, en plus, Kumari, qui habite la maison mitoyenne, n’en a plus ! Kumari leur téléphone. Ils reviennent le jour même finaliser les branchements électriques et laissent des traces noires sur les murs. Ils livrent le réfrigérateur tâché, branchent le gaz et pissent sur la cuvette des toilettes, les murs, le sol. Mais tous enlèvent toujours leurs chaussures avant d’entrer…

À suivre... 5 - VIVRE À SINGAPOUR 1988-1989

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